J'ai lu Fort-Dimanche, Fort la
mort de Patrick Lemoine, un livre boulversant. Il était
nécessaire qu'un tel ouvrage soit publié. Personne,
excepté les rares surviants et, bien entendu leurs bourreaux,
ne pouvait soupconner ce qui se passait derrière les
murs sinistres de Fort-Dimanche. Ce que raconte le livre est
invraisemblable mais vrai. La documentation est impressionnante
et minutieuse. Le lecteur, à moins qu'il ait connu personnellement
la prison des Duvalier, est perplexe. Comment peut-on croire
que le cerveau de l'homme capable d'une telle perversité
dans la barbarie? Pouvait-on penser que des être humains
résisteraient à des épreuves pareilles?
Cette barbarie fut réelle et Patrick Lemoine, après
six ans d'un traitement intolérable, (1971-1977), est
vivant pour témoigner.
Ce n'est pas pendant le règne
cauchemardesque de François Duvalier qu'ont eu lieu les
horreurs racontées par Lemoine, mais durant la gestion,
réputée acceptable, de Jean Claude Duvalier. Pitite
tigre se tigre! En l'occurrence, il n'aurait pu en être
autrement, car le fils fut éduqué par le père
qui, en outre, lui légua son armée et ses macoutes.
Le rythme du livre est monotone
comme est monotone la vie en prison. Cette monotonie est impressionnante
car l'horreur augmente à chaque page, et avec l'horreur
croît le suspense. Va-t-il résister? Par quels
moyens résistera-t-il? De la première page à
la dernière, chaque fois que naît l'espoir inexorablement
la situation se dégrade. Six ans de cette existence
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Le
mot existence ne saurait convenir
Six ans d'agonie où
la victime cherche en vain la lumière salvatrice au bout
du tunnel.
La sauvagerie, l'indifférence
totale à la souffrance des victimes est chose terrifiante
chez les bourreaux. L'ingéniosité déployée
pour survivre est émouvante chez les incarcérés.
Positivement admirable est l'attitude mentale du détenu
qui parvient à dominer son moi matériel, ''ce
sac d'os'', comme dit Lemoine, lui faire supporter les privations
et les épreuves continuelles.
D'une cellule retentit soudainement
le cri lugubre :'' La mort! La mort!'' Le cri devient clameur
car toutes les cellules hurlent les mêmes mots sinistres.
Un détenu est parti pour le pays d'où l'on ne
revient jamais. Faut-il le plaindre de ne plus souffrir la mort
lente et inexorable? Ceux qui restent se posent cette question.
Mais if faut réagir, espérer contre tout espoir.
L'univers d'une cellule est un
microcosme du monde extérieur. Les préjugés
de classe et de couleur subsistent intacts et menacent à
tout moment un équilibre précaire.
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Il
faut remettre l'ordre et la discipline, autrement on se battra
comme des chiens pour obtenir une cuillerée supplémentaire
du brouet infâme de Fort-Dimanche. Par ailleurs, les opposants
voisinent avec les enfants vomis par ''la révolution
'' duvaliéresque. Ces macoutes déchus se comportent
avec arrogance, espionnent, dénoncent les "opposants'',
ce qui n'empêche pas que, comme les autres, ils crèvent
comme des chiens. Le grand timonier les avait pourtant avertis
:`` la révolution mange ses enfants''.
Simplement mais crûment Patrick
Lemoine raconte un univers carcéral intolérable
que l'on souhaite à jamais disparu. Il dit les noms des
suppliciés et ceux des bourreaux et ceux des dénonciateurs.
Ceux qui faillirent, ceux qui tinrent bon, ceux qui moururent,
ceux qui survécurent.
Cet ouvrage est un réquisitoire
implacable contre la dictature. Il n'y apparaît aucune
idéologie si non celle de la liberté de penser,
de s'exprimer, choses que les Duvalier, leur armée et
leurs macoutes ne pouvaient tolérer car elles menaçaient
leurs privilèges de magouilleurs aux mains sanglantes.
Fort-Dimanche, Fort la-Mort doit être lu par tous ceux
qui veulent savoir, surtout par les jeunes qui doivent savoir,
car il leur est difficile d'imaginer l'impensable.
Jean Desquiron. |