(Le Nouvelliste - 8 février 2007) Fort-Dimanche, Fort-La-Mort , dénonce la vie vécue en prison
(Haiti en Marche)Review in French
by Josaphat-Robert Large
 
Terrifiant...émouvant...

Jean Desqurion

Le Nouvelliste, 4 décembre 1996

J'ai lu Fort-Dimanche, Fort la mort de Patrick Lemoine, un livre boulversant. Il était nécessaire qu'un tel ouvrage soit publié. Personne, excepté les rares surviants et, bien entendu leurs bourreaux, ne pouvait soupconner ce qui se passait derrière les murs sinistres de Fort-Dimanche. Ce que raconte le livre est invraisemblable mais vrai. La documentation est impressionnante et minutieuse. Le lecteur, à moins qu'il ait connu personnellement la prison des Duvalier, est perplexe. Comment peut-on croire que le cerveau de l'homme capable d'une telle perversité dans la barbarie? Pouvait-on penser que des être humains résisteraient à des épreuves pareilles? Cette barbarie fut réelle et Patrick Lemoine, après six ans d'un traitement intolérable, (1971-1977), est vivant pour témoigner.

Ce n'est pas pendant le règne cauchemardesque de François Duvalier qu'ont eu lieu les horreurs racontées par Lemoine, mais durant la gestion, réputée acceptable, de Jean Claude Duvalier. Pitite tigre se tigre! En l'occurrence, il n'aurait pu en être autrement, car le fils fut éduqué par le père qui, en outre, lui légua son armée et ses macoutes.

Le rythme du livre est monotone comme est monotone la vie en prison. Cette monotonie est impressionnante car l'horreur augmente à chaque page, et avec l'horreur croît le suspense. Va-t-il résister? Par quels moyens résistera-t-il? De la première page à la dernière, chaque fois que naît l'espoir inexorablement la situation se dégrade. Six ans de cette existence…

Le mot existence ne saurait convenir… Six ans d'agonie où la victime cherche en vain la lumière salvatrice au bout du tunnel.

La sauvagerie, l'indifférence totale à la souffrance des victimes est chose terrifiante chez les bourreaux. L'ingéniosité déployée pour survivre est émouvante chez les incarcérés. Positivement admirable est l'attitude mentale du détenu qui parvient à dominer son moi matériel, ''ce sac d'os'', comme dit Lemoine, lui faire supporter les privations et les épreuves continuelles.

D'une cellule retentit soudainement le cri lugubre :'' La mort! La mort!'' Le cri devient clameur car toutes les cellules hurlent les mêmes mots sinistres. Un détenu est parti pour le pays d'où l'on ne revient jamais. Faut-il le plaindre de ne plus souffrir la mort lente et inexorable? Ceux qui restent se posent cette question. Mais if faut réagir, espérer contre tout espoir.

L'univers d'une cellule est un microcosme du monde extérieur. Les préjugés de classe et de couleur subsistent intacts et menacent à tout moment un équilibre précaire.


Il faut remettre l'ordre et la discipline, autrement on se battra comme des chiens pour obtenir une cuillerée supplémentaire du brouet infâme de Fort-Dimanche. Par ailleurs, les opposants voisinent avec les enfants vomis par ''la révolution '' duvaliéresque. Ces macoutes déchus se comportent avec arrogance, espionnent, dénoncent les "opposants'', ce qui n'empêche pas que, comme les autres, ils crèvent comme des chiens. Le grand timonier les avait pourtant avertis :`` la révolution mange ses enfants''.

Simplement mais crûment Patrick Lemoine raconte un univers carcéral intolérable que l'on souhaite à jamais disparu. Il dit les noms des suppliciés et ceux des bourreaux et ceux des dénonciateurs. Ceux qui faillirent, ceux qui tinrent bon, ceux qui moururent, ceux qui survécurent.

Cet ouvrage est un réquisitoire implacable contre la dictature. Il n'y apparaît aucune idéologie si non celle de la liberté de penser, de s'exprimer, choses que les Duvalier, leur armée et leurs macoutes ne pouvaient tolérer car elles menaçaient leurs privilèges de magouilleurs aux mains sanglantes. Fort-Dimanche, Fort la-Mort doit être lu par tous ceux qui veulent savoir, surtout par les jeunes qui doivent savoir, car il leur est difficile d'imaginer l'impensable.

Jean Desquiron.


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