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Note de lecture parYves-Robert Dougé
POUR HAITI - no. 29 et 30 - Sept - Dec, 1998

Yves Robert Dougé M.D.
1 Juillet 1948 - 25 Janvier 2004
Fort-Dimanche, Fort-la-Mort ou l'horreur duvalierienne

En refermant le livre de Patrick Lemoine, la premiére réaction est de se dire que l'on a vécu un mauvais rêve, que l'on va se reveiller bientot pour revenir à la realité. Non, il est impossible que sur notre planète il puisse exister de telles horreurs, elles ne peuvent se produire que dans un monde parallèle dirigé par des créature inconnues. Mais la réalité est têtue et exaspérante; elle impose à notre vision des faits terribles sans se soucier des résultats sur notre conscience. Patrick Lemoine a suivi ce chemin du réel en nous livrant brut de décoffrage les vicissitudes de ses cinq années passées dans les prisons haitiennes. Fort-Dimanche - Fort-la-Mort est un témoignage boulversant sur l'état de dégradation tant physique que morale instauré par les sbires d'un régime totalitaire. C'est à l'évidence un ouvrage qui nécessite que l'on y revienne.

En effet la première lecture ne peut se faire qu'à fleur de peau car elle réveille en nous des sensations premières, viscérales, sensations de haine de peur, de rejet envers les bourreaux mêles à de la compasion, de l'attachement pour les victimes. Cette description chirugicale d'une longue descente dans l'enfer des geôles duvaliéristes nous laisse d'abord complètement abasourdis; c'est comme recevoir un boulet enn pleine poitrine et se retrouver les fesses en l'air. Ce choc est d'autant plus rude qu'on est haïtien et que l'on fait partie de surcroît de la génération de l'auteur. Voilà des amis que l'on a connu jeunes, avec lesquels on jouait au football et qui un jour avaient subitement disparu. On les retrouve dans ce livre, livré aux pires exactions amaigris, squelettiques et parfois décédés, ayant subi toutes les monstruosités d'un système caréral hors norme.

En refermant pour la première fois ce livre, on en sort groggy, la tête pleine de visages d'amis, de visions cauchemardesques des prisons haïtiennes, de la brutalité et de la lâcheté de certains hommes.

Tout cela se téléscope dans notre tête, une horreur chassant l'autre, car l'auteur ne nous fait grâce d'aucune mansuétude. Il décrit la réalité qu'il a vécu sans aucune floriture, l'état de saleté innommable, du cachot, la dégradation physique et morale des détenues et, à la fin, on ressort un peu nauséeux de ce premier contact. Bien sûr, dans cette noirceur il existe quelques moments ensoleillés de solidarité entre compagons de cellule, d'un macoute qui se découvre tout d'un coup une âme, mais ils sont sir rares qu'ils ne relêvent pas de manière significative le ton du livre.

Passé un certain temps, il est nécessaire de reprendre cet ouvrage car il soulève de multiples questions tant point de vue du vécu de l'auteur que de l'analyse du régime des Duvalier. Comment Patrick Lemoine a-t-il pu atterrir dans cet enfer? S'il n'avait pas été membre d'un quelconque mouvement d'opposition (à ce propos il n'y a pas d'affirmation ni de démenti ferme dans le livre) cela ne ferait qu'ajouter à l'arbitraire du macoutisme. Ici, on pourrait s'interroger sur le pourquoi d'une telle prudence: est-ce parce que sa conscience politique n'était pas suffisamment développée pour le porter à un militantisme actif, ou est-ce la crainte de trop dévoiler sur certains amis (une forme de dénonciation ?). sentiment qui persiste encore à l'heure actuelle chez nos compatriotes. Peut être la réponse se retrouve-t-elle ailleurs. En effet, dans sa prison il a parfois reçu l’aide des frères maçons ou de camarades communistes, mais cela paraît secondaire par rapport catholique qui resurgit tout au long du livre. Ce fort aspect religieux incite à une première interrogation d’ordre essentiellement philosophique : l’être humain garde-t-il en lui même les possibilités pour surmonter de tels moments difficiles, ou lui est - il nécessaire d’invoquer une puissances supérieure pour y arriver?

 De même, la question que l’auteur se pose sur l’existence de Dieu nous amène à penser sur les capacités au mal de l’homme. Si ce dernier est le reflet d’une volonté qui nous dépasse, en Haïti, ce serait plutôt celle du démon.

Enfin à travers l’histoire d’un individu Patrick Lemoine nous fait percevoir le destin funeste de milliers d’haïtiens enfermés dans la tenaille de la dictature duvaliériste, leur désespoir, l’horizon qui semble à tout jamais bouché. En effet ici réside une qualité essentielle de Fort-Dimanche, Fort la Mort où l’auteur a pu associer à son histoire personnelle celle de tous ses compagnons d’infortune. La tenue d’un calendrier des malheurs de chacun, des décès constitue une performance à elle seule et se présente comme une partie de la nécessaire d’histoire du duvaliérisme. En fait on se demande si l’auteur a une mémoire phénoménale ou si déjà dans sa prison il avait pensé des notes pour l’avenir. Quelques livres ont été publiés à ce propos, mais ils n’ont jamais tenu un compte-rendu aussi détaillé des personnes incarcérées et de leur disparition. P. Lemoine a posé la première pierre de cette utile contribution, car il ne suffit pas de dire qu’il y eu des bourreaux et des victimes, mais il s’agit aussi de leur donner un visage pour qu’enfin justice puisse être rendue même à type posthume. Une nation se construit aussi au travers de sa mémoire; la génération actuelle doit savoir quels furent les qualités et les défauts de leurs pères, leurs actes de courage et leurs exactions. Il existe un projet de faire de ce si terrible Fort Dimanche un monument à la gloire des victimes des trente années de la dictature duvaliériste, mais il semble avoir avorté. On ne peut qu’espérer qu’il sera repris un jour pour qu’enfin, auprès des noms que P. Lemoine a cités, se rajoutent tous ceux qu’ont veut nous faire plus ou moins oublier.


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