Patrick
Lemoine est né a Port-au-Prince, le 19 décembre
1945. Il fit ses études primaires et secondaires à
l’Institution Saint-Louis de Gonzague et au Collège
Frank Etienne.
Arrêté
en 1971 par le gouvernement macoute de Jean-Claude Duvalier,
il passe près de six années en prison entre Fort-Dimanche
et les Casernes et les Casernes Dessalines. Relâché
en septembre 1977, il est expulsé le même jour
d'Haïti. Après un bref séjour à la
Jamaïque, il s'installe aux Etats-Unis. Diplômé
du Teterboro School of Aeronautics, il travaille pour une compagnie
aériene.
Fort-Dimanche,
Fort-la-mort, témoignage émouvant comme
on le devine et de première main sur le quotidien dans
les prisons du régime sanguinaire des Duvalier.
L'auteur,
Patrick Lemoine, nous montre comment dans ce milieu réducteur
et avilissant de Fort Dimanche, l’être humain pour
réussir à garder une certaine dignité,
doit développer une incroyable inventivité, grâce
à quoi il échappe de temps à autre au sordide
de sa situation de déchet humain.
"La
lourde porte de la cellule 5 se referma derrière moi
et je me reprouvai dans un monde irréel un monde d’outre
tombe.
En face de moi, onze hommes squelettiques. Une odeur nauseabonde
me retouma Ie coeur. Mes hotes dont certains jouaient au ludo,
me souhaiterent la bienvenue.
"
On est le 10 janvier 1974. Patrick Lemoine arrive à Fort
Dimanche où il a été transferé après
les 2 premières années dans une oubliette des
Casernes Dessalines. II y restera 3 ans et 38 jours, jusqu 'au
17 février 1977. Comment a-t-il pu tenir? Comment a-il
pu survivre?
C'est cela la trame du livre.
Le 19 décembre 1971, Patrick Lemoine est arrêté
et conduit aux Casernes Dessalines. Un de ses meilleurs amis,
Addy Séraphin, employé comme lui à la Pan
Am, avait été arrêté quelques jours
auparavant. Patrick avait été averti indirectement
qu'on le recherchait.
Pourquoi?
Il ne s'étend pas beaucoup là-dessus. "Un
employé de la compagnie d'aviation à peine licencié
avait été arrêté. Il aurait cherché
à compromettre Addy, son chef de service, dans une affaire
de contrebande. Cette histoire n'avait aucun sens, mais ses
implications me parurent très graves" nous révèle-t-il
à la page 16.
Dès
le début du livre, on est pris, tenu en haleine. Et cela
jusqu'à la dernière page. |
Le
transfert à Fort-Dimanche signifie un durcissement des
conditions de déten-tion. Le ticket pour la mort. Patrick
Lemoine savait qu'un jour il serait transféré
à Fort-Dimanche, Fort-La-Mort. Et il s' y était
préparé au cours de ses 3 ans de détention
aux Casernes Dessalines.
"L'un
des problèmes aux Casernes était la présence
des pots avec leur trop plein d'urine et leur odeur nauséabondes.
Je décidai, toujours dans ma préparation à
un éventuel transfert à Fort-Dimanche, de réduire
ma consommation d'eau. Je ne buvais plus le matin. A midi, je
me contentais d'un verre et j'avais fini par ne plus en prendre
le soir. En réduisant ma consommation à un verre,
je n'urinais qu'une fois dans la journée."
Il en est
ainsi tout le long de ces 267 pages du livre Fort-Dimanche,
Fort-La-Mort, un témoignage saisissant d'un
ancien détenu sur les prisons des Duvalier.
Tout est orienté vers cette nécessité de
survie. Tenir. Pour tenir, il fallait entrainer son corps. "Tony
(un ancien de Fort Dimanche) avait également souligné
que les rations du souper étaient maigres. Pour m'y préparer,
je limitais mon alimentation à dix cuillérées.
De plus, je pratiquais la respiration profonde."...
"J'appris également à me contrôler,
pour le cas où des querelles stupides mèneraient
à des échanges de coups de poing."...
Oui, surtout, il fallait davantage encore préparer son
esprit. Se créer des occupations, à partir de
rien, pour ne pas sombrer dans le délire mental.
" Un jour je trouvai dans la nourriture un os de la
taile d'un auriculaire d'enfant et je m'appliquai à le
limer contre le sol, ce qui me prit une bonne semaine. A l'aide
d'une agrafe trouvée dans le matelas, je fis un trou
à l'extrémité de l'os et fabriquai ainsi
ma première aiguille. " ...
Ou encore:
" A force d'artifices et, en quête d'une présence,
j'avais réussi à apprivoiser une souris. Tous
les soirs vers neuf heures, le clairon annonçait l'arrivée
de ma compagne, madame Souris, qui venait partager mon frugal
repas. Sa présence me récomfortait et pour qu'elle
ne parte pas trop vite, je bouchais le trou sous la porte. Je
lui parlais mais le son de ma voix l'effrayait. Je m'étais
attaché à elle et chaque soir, j'attendais sa
visite avec impatience."
|
Méticuleusement,
Patrick Lemoine nous retrace les moments les plus poignants
de cette descente en enfer. D'une écriture régulière,
il nous fait revivre aussi la compagnie des boureaux. Nous apprenons
à connaitre l'adjudant Enos St Pierre, alias Plop
Plop, dont c'était l'expression favorite.
Dans cet univers d'horreur, les gens meurent chaque jour. Les
causes en sont la malnutrition, la diarrhée chronique,
la tuberculose ou la typhoide. Nous avons le coeur renversé
par les odeurs se dégageant du dyab, pseudonyme
donné au pot d'urine et matières fécales
et que les détenus se relayaient pour le sortir.
" La porte de la cellule s'ouvrit. Notre dyab n' était
pas tout à fait rempli, je voulus y uriner, mais le détenu
qui le sortait me pria de lui réserver mon urine. Il
partit le vider. A son retour, les mains au-dessus du récipient,
il me fit signe de les arroser en pissant dessus. Gêné,
je ne pus y arriver. Deux compagnons offrirent leur service,
permettant au vidangeur du jour de se laver les mains."
Il y a aussi,
hélas, les exécutions. En un seul jour, 15 jeunes
furent fusillés. Parmi eux, Thomas Charles, Jacques Jeannot,
Joël Liautaud, Michel Corvington.
On torture
aussi à tours de bras à Fort Dimanche.
" Le 17 octobre 1974, dans l'après-midi, un prisonnier
sévèrement torturé nous fut amené.
Il saignait abondamment des oreilles, du nez, et de la bouche.
Sa tête était enflée, ses testicules tuméfiés
... Le jour suivant, un autre nous arriva dans le même
état. Il ne reçurent aucune assistance médicale.
Il fallait les aider. Avec de l'urine, notre seul remède.
Nous en mîmes partout: dans les yeux, les oreilles et
même sur les plaies ouvertes, sans nous proccuper des
complications qu'aurait pu entraîner l' utilisation de
l'urine, surtout dans les yeux.."
Ce livre,
il faut le lire. If faut le lire jusqu'au bout, même si
parfois on ne peut plus. Même si parfois on a envie de
le cacher, de l'enterrer 10 pieds sous terre, comme si cela
pouvait prévenir à tout jamais la répétition
d'actes pareils, comme si cela pouvait empêcher que ne
se répètent dans notre pays de telles horreurs.
Patrick
Lemoine a eu le courage, il en faut, de revivre son enfer pour
nous en faire part comme un " pinga " Fort-Dimanche,
Fort-La-Mort devrait être dans toutes les mains
pour qu'après personne ne puisse dire: Si j'avais su!
Elsie
Ethéart |