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                  refermant le livre de Patrick Lemoine, la premiére réaction 
                  est de se dire que l'on a vécu un mauvais rêve, 
                  que l'on va se reveiller bientot pour revenir à la realité. 
                  Non, il est impossible que sur notre planète il puisse 
                  exister de telles horreurs, elles ne peuvent se produire que 
                  dans un monde parallèle dirigé par des créature 
                  inconnues. Mais la réalité est têtue et 
                  exaspérante; elle impose à notre vision des faits 
                  terribles sans se soucier des résultats sur notre conscience. 
                  Patrick Lemoine a suivi ce chemin du réel en nous livrant 
                  brut de décoffrage les vicissitudes de ses cinq années 
                  passées dans les prisons haitiennes. Fort-Dimanche - 
                  Fort-la-Mort est un témoignage boulversant sur l'état 
                  de dégradation tant physique que morale instauré 
                  par les sbires d'un régime totalitaire. C'est à 
                  l'évidence un ouvrage qui nécessite que l'on y 
                  revienne. 
 En effet la première lecture ne peut se faire qu'à 
                  fleur de peau car elle réveille en nous des sensations 
                  premières, viscérales, sensations de haine de 
                  peur, de rejet envers les bourreaux mêles à de 
                  la compasion, de l'attachement pour les victimes. Cette description 
                  chirugicale d'une longue descente dans l'enfer des geôles 
                  duvaliéristes nous laisse d'abord complètement 
                  abasourdis; c'est comme recevoir un boulet enn pleine poitrine 
                  et se retrouver les fesses en l'air. Ce choc est d'autant plus 
                  rude qu'on est haïtien et que l'on fait partie de surcroît 
                  de la génération de l'auteur. Voilà des 
                  amis que l'on a connu jeunes, avec lesquels on jouait au football 
                  et qui un jour avaient subitement disparu. On les retrouve dans 
                  ce livre, livré aux pires exactions amaigris, squelettiques 
                  et parfois décédés, ayant subi toutes les 
                  monstruosités d'un système caréral hors 
                  norme.
 En refermant 
                  pour la première fois ce livre, on en sort groggy, la 
                  tête pleine de visages d'amis, de visions cauchemardesques 
                  des prisons haïtiennes, de la brutalité et de la 
                  lâcheté de certains hommes. |  
                  Tout cela se téléscope dans notre tête, 
                  une horreur chassant l'autre, car l'auteur ne nous fait grâce 
                  d'aucune mansuétude. Il décrit la réalité 
                  qu'il a vécu sans aucune floriture, l'état de 
                  saleté innommable, du cachot, la dégradation physique 
                  et morale des détenues et, à la fin, on ressort 
                  un peu nauséeux de ce premier contact. Bien sûr, 
                  dans cette noirceur il existe quelques moments ensoleillés 
                  de solidarité entre compagons de cellule, d'un macoute 
                  qui se découvre tout d'un coup une âme, mais ils 
                  sont sir rares qu'ils ne relêvent pas de manière 
                  significative le ton du livre.  Passé 
                  un certain temps, il est nécessaire de reprendre cet 
                  ouvrage car il soulève de multiples questions tant point 
                  de vue du vécu de l'auteur que de l'analyse du régime 
                  des Duvalier. Comment Patrick Lemoine a-t-il pu atterrir dans 
                  cet enfer? S'il n'avait pas été membre d'un quelconque 
                  mouvement d'opposition (à ce propos il n'y a pas d'affirmation 
                  ni de démenti ferme dans le livre) cela ne ferait qu'ajouter 
                  à l'arbitraire du macoutisme. Ici, on pourrait s'interroger 
                  sur le pourquoi d'une telle prudence: est-ce parce que sa conscience 
                  politique n'était pas suffisamment développée 
                  pour le porter à un militantisme actif, ou est-ce la 
                  crainte de trop dévoiler sur certains amis (une forme 
                  de dénonciation ?). sentiment qui persiste encore à 
                  l'heure actuelle chez nos compatriotes. Peut être la réponse 
                  se retrouve-t-elle ailleurs. En effet, dans sa prison il a parfois 
                  reçu l’aide des frères maçons ou 
                  de camarades communistes, mais cela paraît secondaire 
                  par rapport catholique qui resurgit tout au long du livre. Ce 
                  fort aspect religieux incite à une première interrogation 
                  d’ordre essentiellement philosophique : l’être 
                  humain garde-t-il en lui même les possibilités 
                  pour surmonter de tels moments difficiles, ou lui est - il nécessaire 
                  d’invoquer une puissances supérieure pour y arriver? 
                   |  De 
                  même, la question que l’auteur se pose sur l’existence 
                  de Dieu nous amène à penser sur les capacités 
                  au mal de l’homme. Si ce dernier est le reflet d’une 
                  volonté qui nous dépasse, en Haïti, ce serait 
                  plutôt celle du démon.  Enfin à 
                  travers l’histoire d’un individu Patrick Lemoine 
                  nous fait percevoir le destin funeste de milliers d’haïtiens 
                  enfermés dans la tenaille de la dictature duvaliériste, 
                  leur désespoir, l’horizon qui semble à tout 
                  jamais bouché. En effet ici réside une qualité 
                  essentielle de Fort-Dimanche, Fort la Mort où l’auteur 
                  a pu associer à son histoire personnelle celle de tous 
                  ses compagnons d’infortune. La tenue d’un calendrier 
                  des malheurs de chacun, des décès constitue une 
                  performance à elle seule et se présente comme 
                  une partie de la nécessaire d’histoire du duvaliérisme. 
                  En fait on se demande si l’auteur a une mémoire 
                  phénoménale ou si déjà dans sa prison 
                  il avait pensé des notes pour l’avenir. Quelques 
                  livres ont été publiés à ce propos, 
                  mais ils n’ont jamais tenu un compte-rendu aussi détaillé 
                  des personnes incarcérées et de leur disparition. 
                  P. Lemoine a posé la première pierre de cette 
                  utile contribution, car il ne suffit pas de dire qu’il 
                  y eu des bourreaux et des victimes, mais il s’agit aussi 
                  de leur donner un visage pour qu’enfin justice puisse 
                  être rendue même à type posthume. Une nation 
                  se construit aussi au travers de sa mémoire; la génération 
                  actuelle doit savoir quels furent les qualités et les 
                  défauts de leurs pères, leurs actes de courage 
                  et leurs exactions. Il existe un projet de faire de ce si terrible 
                  Fort Dimanche un monument à la gloire des victimes des 
                  trente années de la dictature duvaliériste, mais 
                  il semble avoir avorté. On ne peut qu’espérer 
                  qu’il sera repris un jour pour qu’enfin, auprès 
                  des noms que P. Lemoine a cités, se rajoutent tous ceux 
                  qu’ont veut nous faire plus ou moins oublier.  |