Lucien
Daumec -
40 ans Déjà!
Dans
la matinée du 25 décembre 1963, un imposant
contingent de militaires et de « macoutes »
lourdement armés procédèrent à
l’enlèvement de Lucien Daumec. Il avait
41 ans. Des amis présents ainsi que son fils
Frantz,17 ans furent aussi enlevés. Deux mois
plus tard, le sénateur Dato Daumec subira le
même sort. On ne devait plus les revoir à
l’instar des milliers d’autres victimes
du régime dictatorial héréditaire
des Duvalier et qui ont eu Fort-Dimanche comme lieu
de dernier repos.
Lucien Daumec faisait partie de cette équipe
de jeunes du journal « La Ruche » qui avaient
organisé la grève du 7 janvier 1946 laquelle
entraîna la chute du régime controversé
de M. Élie Lescot et ébranla les fondements
de la structure archaïque de la société
haïtienne. Ces jeunes voulaient s’arrimer
au vaste mouvement anti-fasciste de l’époque
et offrir autre chose au pays que le recyclage des accessoires
du vieux système politique. Ils avaient l’ambition
de compléter 1804 et de sortir le pays du moyen-âge
politique.
L’histoire en a décidé autrement.
Au début de l’année de 1941, M.
Élie Lescot fut choisi par le président
Vincent pour être son successeur et, comme une
simple formalité, ce choix fut entériné
par l’Assemblée nationale le 14 avril 1941.
Autocrate sectaire, arguant que le pays n’était
pas prêt pour la démocratie et que celle-ci
est incompatible avec les mœurs et les coutumes
du peuple haïtien, M. Lescot s’empressa,
sitôt nommé, de concentrer tous les pouvoirs
entre ses mains et de proclamer l’état
de siège. L’armée, la justice, le
corps législatif fonctionneront sous la stricte
supervision de l’auto-proclamé commandant
en chef de l’armée, M. Lescot lui-même.
Il n’a pas inventé la question de couleur,
une vieille connaissance de notre histoire mais, sous
sa gouverne, celle-ci sera réaménagée
et portée à son paroxysme. En prônant
la supériorité du mulâtre par rapport
au noir, il a fait de la couleur de l’épiderme
le seul critère d’embauche dans la fonction
publique et les conséquences d’une telle
pratique sur la petite-bourgeoisie noire qui se voyait
chassée des bureaux publics et même des
entreprises privées furent catastrophiques.
La politique économique de Lescot fut tout aussi
catastrophique et eut pour résultat un appauvrissement
général de la population. Il s’accapara
des ressources du pays au bénéfice de
sa caste et de ses amis ‘levantins » et,
sous prétexte d’efforts de guerre, confisqua
d’énormes quantités de terre des
paysans pour les donner à des compagnies étrangères
dont la Shada pour la culture de l’hévéa.
Au plan extérieur, sa politique, mentionnait-t-il,
est le « reflet fidèle » de celle
des Etats-Unis dont en solidarité après
l’attaque de leur flotte à Pearl Harbour
par les Japonais en décembre 1941, il déclare
la guerre à l’Allemagne, à l’Italie
et Japon.
Les
biens des ressortissants de ces pays qui résidaient
en Haïti furent mis sous séquestre et donnés
en cadeau aux amis du régime.
Despotisme, soumission totale aux intérêts
étrangers et sacrifice de ceux du pays, telles
furent les caractéristiques de ce gouvernement.
Il en résulta un mécontentement général
et c’est dans ce contexte que parut « La
Ruche ».
Le 7 janvier 1946, le journal lança son mot de
grève générale et le 11 janvier,
tout était joué. Lescot partit pour l’exil
et une junte militaire assuma le pouvoir jusqu’à
l’élection de Dumarsais Estimé par
l’Assemblée nationale en août 1946.
Le pays connut deux années d’effervescences
démocratiques au cours desquelles les luttes
menées par le mouvement syndical vaudront aux
masses laborieuses l’adoption de certaines mesures
notamment celles sur le salaire minimum, les congés
de maternité, la loi sur la conciliation obligatoire
en cas de conflit de travail de même que l’établissement
de l’Institut d’assurances sociales.
1946
a aussi favorisé l’émergence des
classes moyennes sur la scène politique bien
que ce soit la faction la plus réactionnaire,la
plus rétrograde qui a occupé et qui occupe
encore aujourd’hui toutes les avenues du pouvoir.
Contrairement à ceux qui ont usurpé et
assassiné 46 et se sont enrichis de ses dépouilles,
Lucien Daumec était resté attaché
toute sa vie aux idéaux de démocratie,
de libertés et de justice sociale que charriait
ce mouvement.
Après
46, on le retrouve militant syndical à travers
le Fédération des travailleurs haïtiens
affiliée au PCH dont il était membre.
Diplômé de l’Institut d’Ethnologie
et, plus tard, de la faculté de Droit, on le
retrouve dans l’enseignement et le journalisme.
Après la fermeture de « La Ruche »,
il avait fondé l’hebdomadaire « La
voix des jeunes » pour ensuite alimenter de ses
chroniques régulières les journaux Le
Nouvelliste et Le Matin.
Après 46, on le retrouve militant syndical à
travers le Fédération des travailleurs
haïtiens affiliée au PCH dont il était
membre. Diplômé de l’Institut d’Ethnologie
et, plus tard, de la faculté de Droit, on le
retrouve dans l’enseigne-ment et le journalisme.
Après la fermeture de « La Ruche »,
il avait fondé l’hebdomadaire « La
voix des jeunes » pour ensuite alimenter de ses
chroniques régulières les journaux Le
Nouvelliste et Le Matin.
En
octobre 1957, il est nommé responsable du Secrétariat
Privé de Duvalier mais, très vite, le
5 novembre 1958, il présente sa démis-sion.
Dans sa lettre, il mentionne qu’à l’instar
de tous les autres services publics, on retrouve au
Secrétariat le même acharnement à
dénigrer et à porter des coups dans le
dos et qu’il aurait suffi de prêter une
oreille complaisante aux tripotages des uns et des autres
pour que la simple courtoisie en soit bannie.
Duvalier
refuse cette démission mais s’arrange pour
transférer les principales attributions du Secrétariat
à une cellule ou l’on retrouve les Barbot,
Cambronne, Claude Raymond, Mme thébaud , Luc
désyr, etc…
Au cours de cette période, il effectue des visites
dans les provinces en vue de recueillir les doléances
des populations et d’aider à les résoudre.
En 1959, il est fait « Citoyen Honoraire de Port-de-Paix
en reconnaissance de son engagement pour le développement
de cette zone. Il s’est notamment fait le promoteur
de la construction des routes Port-de-paix - Cap et
Port-de-Paix - Jean-Rabel et aussi de l’établissement
d’un véritable système d’irrigation.
Ces projets n’ont pas abouti… À l’Ile
de la Tortue, l’œuvre du Père Rioux
bénéficia de toute sa sollicitude.
Nommé Secrétaire d’État à
la Santé Publique en 1961, il entreprit immédiatement
de doter le pays d’un hôpital moderne de
quatre cents (400) lits, l’Hôpital du Bel-Air
qui devait être érigé aux coins
des rues St-Martin et Péan et dont la construction
débuta le Vendredi 4 mai 1962.
Duvalier ne l’entendait pas de cette oreille et,
dès le début, au cours d’un Conseil
spécial des ministres le 14 novembre 1961, il
passa des instructions à son ministre des finances,
M. Hervé Boyer, pour qu’aucune somme n’en
soit allouée.
Face à ce blocage, il fit appel à la collaboration
du public qui a répondu favorablement. Un «
Comité d’aide à la construction
de l’Hôpital du Bel-Air » fut mis
sur pied avec comme responsables, entre autres, M. Gabriel
Volcy, juge à la cour d’Appel de Port-au-Prince
et M. Joseph L. Volcy, deux citoyens de la zone.
• Parmi les souscripteurs, nous retrouvons, entre
autres, les noms de :
• Télémarque Desrosiers avec 20
sacs de ciment et deux cents blocs.
• Arnold Brown, 30 camions de sables
• Walter Rice de la compagnie Reynolds, 1000$
• E.O. Finnie, USAID, 2 voitures pick-up
• Orlando Petoria et Henri Cerulli collectèrent
la somme de 800$ auprès de leurs amis dont Guy
Vitiello, Di Maro, Magilio, Jodice et autres
Nagib Handal et ses amis du Club Haïtiano-arabe
dont Fouad Mourra, Nicolas Laham, Georges Kawly, Touffic
Jaar, handal, Cassis et Nahoum Acra y ont contribué
avec un camion pour le transport des matériaux.
Les travaux se poursuivent et Duvalier s’impatiente.
Lucien oDaumec est renvoyé du Cabinet avec ordre
formel de surseoir à la construction de l’hôpital
car autrement, lui avertit le président, ce serait
une atteinte à la sécurité du gouvernement.
Rentré chez lui, il fonda, de concert avec des
amis dont Rameau Estimé qui mourut au Fort-Dimanche
en 1976, le Parti Union des Démocrates Haïtiens.
Là, les vraies tracasseries vont commencer e
même son épouse Lucia Lamothe, la sœur
de mme Duvalier, sera généreusement mise
à contribution.
Jamais sous ce gouvernement, écrit-il dans ses
notes, un homme n’a jamais confronté une
pareille situation et qu’il n’est soutenu
que par sa foi en son destin et la collaboration de
quelques amis.
Le dénouement était cependant très
proche.
Début décembre, il mentionne dans ses
notes qu’il a reçu un appel de Duvalier
:
Lucien, les services secrets du gouvernement m’on
informé que vous êtes candidat à
la présidence. Il n’y a pas de vacance
présidentielle. Jamais vous ne serez président
d’Haïti.
Et
lui de répondre :
Excellence, faut-il que le pays soit toujours dirigé
par des fabulateurs.
Ensuite,
ce fut le 25 décembre1963. Ce jour-là,
une grande fête eut lieu au Palais national au
cours de laquelle l’état-major duvaliériste
vota l’élimination physique de Lucien.
Quelques mois plus tard ( juin 64 ), Duvalier commande
personnellement le peloton d’exécution
de Lucien, Dato et Frantz après les avoir sadiquement
torturés.
Le 7 février 1986, une révolte populaire
mit fin au règne des Duvalier mais, tout comme
en 46, le mouvement fut dévié de son objectif
pour aboutir à un régime encore plus tyrannique.
25 décembre 63 – 25 décembre 2003
cela fait déjà quarante ans. 40 ans de
tyrannie, de gabegie et d’imbécilités.
Lyonel
Daumec.
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